Le miroir inattendu
Chères spectatrices, chers spectateurs,
Jorge Luis Borges, écrivain argentin et genevois d’adoption, traversé comme moi de mondes multiples, était fasciné par le miroir. Il disait que le miroir multiplie les hommes, qu’il prolonge l’inquiétude d’exister, en renvoyant une image presque identique, mais jamais tout à fait la même. Le miroir n’est jamais neutre : il inquiète, il ouvre sur l’infini, il met en doute la réalité. Et si le reflet n’était pas un simple double, mais un autre monde ? Une version parallèle, insaisissable, vertigineuse. Comme le théâtre, peut-être, cet espace où les apparences vacillent, où les rôles se brouillent, où l’on croit reconnaître et pourtant tout se dérobe.
La saison 2025-2026 de La Cité Bleue s’offre à vous comme un miroir. Un miroir qui ne se contente pas de refléter, mais qui révèle, surprend et interroge. Un espace où les images se multiplient, où les influences se croisent et se transforment, où chaque reflet est une invitation à regarder autrement. À questionner ce que nous croyons stable, certain, en nous ouvrant à de nouveaux mondes, à des dialogues inattendus entre époques et cultures.
Car cette saison est faite de miroirs en éclats.
Le miroir des résonances, où les musiques anciennes rencontrent les souffles d’aujourd’hui, où clavecins, cornemuses et synthétiseurs composent à l’unisson une nouvelle mémoire sonore.
Le miroir des traversées, où les traditions persanes, andines ou africaines croisent les chemins baroques, tissent des ponts entre continents et s’inventent des racines communes, réelles ou rêvées.
Il y a aussi le miroir des gestes, celui des corps en mouvement, des danses rituelles ou urbaines, des rondes qui réunissent, qui disent ensemble sans paroles.
Le miroir des métamorphoses, où les mythes anciens prennent des visages d’aujourd’hui, où l’opéra devient fable futuriste ou légende déconstruite, entre sacré et satire, entre électronique et théorbe.
Le miroir des voix, celles qui s’élèvent pour dire l’intime, l’exil, la lutte, l’amour. Des voix de femmes, d’enfants, de poètes, qui résonnent à nouveau sous les voûtes de la scène.
Le miroir de l’enfance, ce regard premier qui interroge et imagine, ce lien transmis entre générations, où l’on découvre ensemble, petit·e·s et grand·e·s, des histoires à chanter, à rêver, à comprendre.
Et puis, le miroir de l’aube, fragile et suspendu, celui des instants rares, inattendus, où l’on vient écouter en dehors des heures convenues, au seuil du sommeil ou du jour, dans ce flottement propice à tous les émerveillements.
Et enfin, le miroir du grand écran, où le cinéma entre en scène comme un théâtre de l’intime et du collectif. Chaque plan capte un éclat de mémoire, prolonge un geste, murmure un monde et nous laisse, face à l’écran, un peu plus lucides, un peu plus vivants.
À La Cité Bleue, chaque reflet devient passage. Chaque spectateur, voyageur.
Nous vous attendons dans ces mondes à mi-chemin, entre visible et invisible, mémoire et invention.
Leonardo García-Alarcón
Directeur général et artistique
